Adrien Meyer : “ONE à Christie’s, une vente ambitieuse et inédite”
Le vendredi 10 juillet Christie’s a marqué l’histoire des enchères avec ONE, une enchère mondiale en direct proposant des œuvres impressionnistes et modernes, d’après-guerre et contemporain aux quatre coins du monde. La vente a d’abord débuté à Hong Kong, puis s’est enchaînée à Paris, Londres, pour se terminer à New York. En quatre heures, 420 millions de dollars ont été récoltés.
Adrien Meyer, co-directeur du département impressionniste et moderne, et directeur monde des ventes privées chez Christie’s, nous raconte les dessous de l’effervescence de ONE, une vente aussi ambitieuse qu’inédite.
Parlez-nous de la naissance de la vente aux enchères ONE.
Nous avons voulu réinventer le modèle traditionnel de nos grandes “ventes du soir”, pour en faire un événement inédit. Ce sont paradoxalement les contraintes liées au coronavirus qui nous ont amenés à faire un bond accéléré.
Pensiez-vous à ce format de vente avant l’apparition du Covid-19 ?
Avant la crise sanitaire, nous cherchions déjà à innover sur ces ventes mais pas de façon aussi radicale. Ce sont les clients eux-mêmes qui ont changé de comportement en trois mois – au lieu de trois ans en temps normal – avec une incroyable capacité d’adaptation aux nouvelles technologies.
Que se cache-t-il derrière la préparation d’un projet aussi ambitieux : celui de “dépasser les frontières pour créer une vision, une vente” ?
Cette vente nous a demandé une grande préparation, tant sur le plan de sa performance que sur le plan technologique. Il s’agissait au fond d’une mobilisation sans précédent de la compagnie, à l’échelle mondiale autour d’un seul et même évènement. Imaginez : quatre ventes consécutives, sur quatre fuseaux horaires, et un public qui allait excéder les 80 000 téléspectateurs. Nous n’avions simplement pas le droit à l’erreur !
Comment avez-vous vécu ONE, qui requiert une plus grande concentration, cohésion, et coordination que les ventes classiques ?
J’appréhendais autant que j’étais excité ; cette vente comportait beaucoup de risques, et il nous fallait donc être tous vigilants, et jusqu’au tout dernier lot.
Les œuvres ont-elles été exposées avant la vente ?
Oui, mais à l’inverse, il n y a pas eu d’expositions itinérantes car les vols commerciaux étaient suspendus. Et pour couronner le tout, pas de catalogue de vente (version papier), ce qui aurait été, jusqu’à récemment encore, impensable pour une vente d’une telle ampleur. Cela nous a permis de gagner quelques jours de plus pour étoffer la vente de quelques œuvres phares à la dernière minute.
En tant que responsable des ventes privées, vous avez aussi mobilisé votre réseau de collectionneurs. Comment ont-ils réagi à l’annonce de cette vente ?
Il y avait clairement deux écoles : certains étaient plutôt sceptiques alors que d’autres ont été très vite partants. Du côté des acheteurs, cet événement a attiré de nouveaux collectionneurs, probablement grâce à son format digital.
Le prix le plus élevé de la vente ONE a été atteint par une oeuvre de Roy Liechtenstein, Nude with Joyous Painting de 1994, qui a atteint 46 242 500 $. La toile emblématique présente une beauté américaine blonde seule dans sa chambre, ne portant rien d’autre qu’un bandeau bleu et du rouge à lèvres.
La section de Hong Kong a également enregistré de solides résultats : Force Field de George Condo, qui a atteint 53 150 000 $ HK ainsi que Yellow Quadrangle de 1959, du peintre japonais d’avant-garde Takeo Yamaguchi, qui s’est vendu pour 15 125 000 $ HK. Des prix records pour ces deux artistes aux enchères. Une œuvre de Yamaguchi s’est également distinguée : il s’agissait de la plus grande œuvre de l’artiste jamais vendue aux enchères, se vendant plus de cinq fois l’estimation élevée.
Les résultats des ventes de Christie’s New York et Hong Kong, Paris et Londres affirment-ils la position de ces pays dans le marché international de l’art, ou au contraire les réévaluent-ils ?
Les résultats de la vente ont confirmé la géographie du marché de l’art : les États-Unis avec 48% en valeur, et l’Asie un peu plus de 25%, le reste réparti en Europe.
Peut-on dire que les œuvres qui ont un historique aux enchères peuvent donner un aperçu de la trajectoire du marché d’un artiste et/ou d’une œuvre particulière ?
C’est fondamental : les prix réalisés aux enchères solidifient ou affectent la cote d’un artiste. Quand certains artistes, tels que Jeff Koons ou Damien Hirst, voient leurs prix vaciller, c’est symptomatique d’un passage à vide. Et souvent ce sont les œuvres elles-mêmes qui disparaissent du circuit…
Avez-vous été surpris par l’engouement qu’ont atteint certaines œuvres ?
Oui, Magritte et Lichtenstein ont été les grands gagnants.
Par le biais de cette vente, quelle œuvre de premier ordre avez-vous eu l’occasion de présenter ?
Nous avons eu l’opportunité de présenter un Barnet Newman exceptionnel. Il n’en passe quasiment jamais aux enchères et celui-ci, de sa série inaugurale des « Strip paintings » était le seul encore en mains privées !
Quels risques présentait le format live pour une vente aussi importante ?
Cette vente présentait des risques technologiques majeurs qui pouvaient donc affecter en l’espace de quelques heures la santé du marché de l’art, ou en tout cas la perception que l’on s’en fait.
Pensez-vous renouveler l’expérience ?
Tant que la situation actuelle instable perdurera, nous nous devrons d’innover pour garder notre audience en éveil. Nos prochaines “ventes du soir” de cet automne devront probablement avoir un nouveau format… encore indéfini à ce stade !
Retrouvez le catalogue ONE ici
Propos recueillis par Isabelle Capalbo
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